Douala vu d'en haut, Février 2018 |
“On est très souvent confrontés à la misère ici. » Je répète inlassablement cette phrase lorsqu’on me demande mes impressions sur ma vie ici. Chaque jour, je me rends compte que je suis privilégiée, moins que d’autres, mais je suis privilégiée. Je me permets encore de rêver que demain sera meilleur quand d’autres (la plupart?) se baladent le regard hagard l’air d’avoir abandonner au sort tout espoir de voir des jours meilleurs.
Rien ou presque n’est sûr. Des milliers de jeunes se bousculent pour les quelques concours de la fonction publique pour espérer un emploi durable. L’emploi est difficile. J’ai cherché longtemps en France et ça m’a beaucoup déprimée mais ici, c’est une autre affaire. Des demandes déposées par voie de mail qui n’auront jamais d’accusé de réception. Des accusés de réception qui entraînent des mois d’attente pour réponse... si réponse il y a. Alors, moi, je vis, j’ai la chance d’avoir de quoi manger, me soigner. J’ai déjà vécu des périodes de chômage alors, je relativise. D’autres, n’ont de choix que de se « débrouiller ». Un entrepreneuriat informel qui nourrit des familles, qui nourrit parfois aussi la misère. Quand bien même, un emploi est trouvé, il faut vivre sans cesse sous le joug d’un chef qui vous rappelle que votre place est convoitée et que vous pouvez être viré à tout moment. Pas de sécurité de l’emploi. Pas de moyen de faire des projets d’avenir.
L’hôpital public et ses malheurs. C’est toujours les mêmes qui souffrent le plus. C’est ceux qui n’ont rien qui ont du mal à faire des visites prénatales. C’est ceux qui n’ont rien qui développent les maladies les plus coûteuses. Des maladies qu’on aurait pu éviter si on avait accès plus facilement au docteur. Ce même docteur qui me sourit dans sa clinique où je paie 3 fois plus que la consultation en hôpital public, délivre un service 3 fois moins appliqué à ceux qui en ont le plus besoin. Il n’a pas le temps, il faut voir les patients à la chaîne. La compassion est occultée mais « on va faire comment? »
Ah « on va faire comment? » Au delà de tout, il y a une misère intellectuelle qui est le partage de tous, pauvres comme riches. Une sorte de résignation collective. Toute idée d’amélioration est rejetée sans même être essayée. Toute remarque est prise pour jugement parce qu’on a vécu ailleurs. Peu de débats constructifs parce qu’il est admis qu’il ne vaut mieux pas rêver du meilleur. Il faut se contenter de ce qu’on a. Je ne parle pas de révolution, non. Je parle de ne pas jeter les ordures n’importe où dans les endroits où on vit, où l’on travaille. Je parle de se plaindre lorsque quelque chose est mal fait. Je parle d’exiger une vie décente.
On me demandera sûrement qui suis-je pour juger? Alors, l’espace d’un instant, on s’imagine vivre dans un monde doré ne fréquentant/voyant que des gens mimant d’être heureux parce qu’ils ont un peu plus que la moyenne... la minute d’après, on se rend compte qu’on serait encore plus misérable. L’important est de ne jamais accepter l’inacceptable, de ne pas trouver normal d’acheter une bière avant 8h pour le petit déjeuner ou de jeter des ordures au milieu de la route. On va faire comment? On trouvera des solutions. On essaiera de ne pas adopter le regard hagard et la mine désabusée H24. On essaiera. On essaiera.
"On va vraiment faire comment?". Cette question qui laisse transparaître un sentiment de normalité. L'impression que les camerounais sont paisibles. Le pays va MAL, tres MAL. Un pays qui régresse? Du JAMAIS vu ...
RépondreSupprimerCette expression qui "nous suffit" où on essaye de se convaincre que tout va bien .
RépondreSupprimerJe suis confrontée à cette misère tous les jours MaySi parfois je me demande si je peux sauver tout le monde en tant que médecin mais parfois tu es obligée d'appliquer certaines règles qui ne te plaisent pas toujours...
Bisous
Première visite sur votre blog...
RépondreSupprimerMerci pour cet article. Il retranscrit bien mes sentiments par rapport à la vie ici, que je redécouvre. Merci surtout pour cette phrase"Ne pas accepter l'inacceptable ".Nous sommes plusieurs, de toutes les classes sociales, à ne pas le faire.
Alors,l 'espoir subsiste.